Virage Ambulatoire en Seine Saint Denis : Quel Impact
Le virage ambulatoire vise à transformer l’organisation des soins de santé et à adapter le système de santé, à une nouvelle philosophie de gestion des soins, à la fois plus humaine et qualitativement plus efficace.
En fait, la mise en place de ce principe nécessite des ajustements à tous les niveaux des paliers de soins. Cela sera particulièrement nécessaire dans notre département. Nous n’avons pas de position de principe qui soit opposée à cette évolution, mais nous savons en travaillant en Seine Saint Denis que des obstacles culturels et sociaux, vont non seulement rendre complexes sa généralisation mais aussi présenter des risques non négligeables sur la situation sanitaire de l’ensemble de la population.
Nous nous sommes appuyés sur l’expérience déjà longue de nos confrères Canadiens concernant cette évolution*, qui ont bien mis en évidence les conséquences de cette « révolution » sur les usagers, les soignants et les aidants
Cela nous permet de penser, que dans le cas où un transfert des charges médicales, para médicales et sociales de la structure hospitalière vers les structures de ville, ne pourra être organisé préalablement à l’hospitalisation. Il apparaît évident qu’il va imposer une nouvelle contrainte aux soins bénévoles qui seraient alors assurés par les familles et particulièrement les femmes (filles, belles filles etc…).
Cela va entraîner, d’une part, un transfert technique et plus accessoirement financier non négligeable (par exemple, en pré hospitalisation le lavage, le rasage etc… et, en post hospitalisation, la nécessité d’assurer le suivi à domicile, la surveillance, la toilette et notamment les soins intimes qui sont indispensables).
Ce transfert aura pour nous, comme conséquence une modification profonde des interfaces travail/famille.
Il apparaît clairement que la pression pour plus de rentabilité et
d’efficacité, qui s’exerce actuellement sur les établissements et donc l’obligation de disposer au plus vite des lits d’hospitalisation, risque de limiter les préalables prévus à la sortie des patients à la possibilité pour ces derniers d’un lever autonome et à la réalisation de quelques pas dans la chambre.
Concernant les aidants
La généralisation de ce programme va donc entraîner des modifications sur la structure organisationnelle des familles désormais responsables des soins post opératoires
Un malade à la maison va amener à une augmentation des taches domestiques et une augmentation de la charge de travail ménager usuel.
Cela peut entraîner un allègement de l’activité professionnelle avec les risques inhérents sur la carrière de ces aidant(e)s. Bien entendu, la solution réside dans le passage régulier de soignants assurant l’essentiel de la surveillance (par exemple le passage quotidien d’une sage femme et d’une puéricultrice après un accouchement)
Dans le contexte de la Seine Saint Denis une telle précaution apparaît non seulement hypothétique mais comme totalement irréaliste !!
Concernant les soignants à l’intérieur de la structure hospitalière
La fatigue accrue du personnel médical et para médical est patente, et s’aggrave avec la rotation de plus en plus rapide des patients. L’accentuation de cette rotation va encore aggraver la pression sur ces personnels.
Pour ce qui concerne les soignants exerçant à l’extérieur de la structure d’hospitalisation
Il apparaît clairement que la désertification croissante et semble-t-il non contrôlée dans le Département, impliquant médecins comme para médicaux va être lourde de conséquence sur les risques de cette évolution, qu’on nous présente comme inéluctable.
Il apparaît comme probable que la hausse du travail qui sera demandée à la ville, se fera au dépend des activités moins prioritaires telles que l’accompagnement affectif et relationnel, l’écoute, la prévention et plus généralement l’ensemble des activités concernant les autres patients.
Ces contradictions ne pourront être surmontées, que si un travail de fond réunissant tous les professionnels quelque soient leur mode et leur lieux d’exercice, soit mis en place afin de définir les préalables indispensables à la sortie de l’hôpital qui ne soient pas uniquement constitués des priorités de ce dernier
La mise en place envisagée d’une PTA** (sur une zone d’ailleurs réduite du 93), qui apparaît comme une solution envisageable à long terme, semble encore trop balbutiante pour pallier aux difficultés prévisibles du virage ambulatoire. Cela d’autant plus que leur mode organisationnel est à ce jour dans les limbes…
Quand au problème de l’importance de l’hôpital dans la chaîne des soins, qui semble-t-il, est présenté comme devenant moins central dans le processus de virage ambulatoire (plus de ville et moins d’hospitalo-centrisme). Il ne nous paraît pas certain que ce virage diminue son rôle.
Il se contentera de le modifier…
En fait, le domicile devient une extension de l’hôpital pour ce qui constitue le « care », l’hôpital ne s’occupant alors que du « cure ». Cette séparation totalement artificielle nous apparaît comme préjudiciable, non seulement à la relation ville-hôpital (déjà bien mal en point), mais aussi plus simplement à un fonctionnement complémentaire des deux activités.
En conclusion
Ce processus dont la motivation principale est essentiellement financière est porteur de difficultés importantes et cela particulièrement dans notre Département, qui présente un taux élevé de la population ne disposant pas des moyens financiers, culturels et sociaux d’en assumer la charge.
La désertification médicale majeure qui pèse sur l’activité des professionnels de ville dans le 93, ne permettra pas de compenser le « transfert de charges » que suppose un virage ambulatoire dont la mise en place s’accélère.
Le processus risque de surcroît, de modifier durablement les équilibres familiaux pour les familles concernées (ce risque potentiel n’ayant d’ailleurs, jamais été étudié en France.
Dr Thierry GOMBEAUD